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          L'esprit de notre époque ne tardera pas avec la question : « Admettons que ce que l'auteur appelle expérience soit crédible pour le sujet qui l’avait vécue. Mais peut-elle avoir une portée objective plus importante que "l'expérience" du patient de l'asile pour malades mentaux? Où est la garantie que ce soit vrai ? »
          Seulement, voici qui est étrange: exigeons-nous une garantie à tous les phénomènes de la vie spirituelle, de la vie culturelle ? Et si pas à tous, alors pourquoi précisément à ceux-ci ? Puisque nous n'exigeons pas de l'artiste ou du compositeur la garantie de «l'authenticité» de leurs influences musicales et de leurs visions picturales. Il n’y a pas de garantie dans le transfert de l'expérience religieuse et, en particulier, métahistorique. Sans aucune garantie, vous croyez en l'expérience de l'autre, si votre structure mentale est au moins en parti en accord avec lui ; celui, dont la structure mentale est discordante, ne croira pas et exigera des garanties, et même s’il les obtient, il ne les acceptera pas quand-même. Seule la science insiste sur l'acceptation obligatoire de ses arguments, en oubliant combien de fois ses conclusions d'aujourd'hui ont été renversées par celles de lendemain. D’autres domaines de l'esprit humain sont étrangers à l'obligation et sont infiniment libres intérieurement : ce sont l'art, la religion, la métahistoire.
          Cependant, confondre ces domaines les uns avec les autres, supposer, par exemple, que la forme métahistorique de la cognition est une sorte de création artistique originale et rare, serait une erreur la plus fondamentale. À certains stades, ils peuvent entrer en contact, oui. Mais il est possible d’avoir un processus cognitif métahistorique totalement dépourvu d'éléments de créativité artistique et, au contraire, les processus de créativité artistique sans aucun rapport avec la métahistoire sont vraiment innombrables.
          Pareil pour le domaine de religions – jusqu'à présent, seules quelques variétés sont réellement enrichies de la cognition métahistorique. Il est curieux de noter que la présence en russe du mot "révélation", qui est littéralement équivalent au mot grec "apocalypse", n'a pas empêché, cependant, à ce dernier de s’ancrer fermement sur le terrain de la langue russe. En même temps, chacun des deux mots a assimilé sa nuance sémantique distinctive. La signification du mot "révélation" est plus générale : sans se limiter par un cadre étroitement confessionnel, nous devrons inclure dans le nombre de cas de révélations historiques des événements comme les visions et les admirations de Mohammed et même l’illumination de Gautama Bouddha. Quant à l'apocalypse, ce n'est qu'un type de révélation : ce n’est pas la révélation des sphères de l'harmonie universelle, ou de la sphère de la complétude absolue, ni même du cercle des hiérarchies stellaires ou autres ; mais c’est une révélation sur les destinées des nations, des royaumes, des églises, des cultures, de l'humanité et sur les hiérarchies qui se manifestent de manière la plus efficace et la plus directe dans ces destinées : c’est la révélation de la métahistoire. L’apocalypse n’est pas aussi universelle que la révélation œcuménique, elle se situe
hiérarchiquement au-dessous, elle traite le sujet plus privé, plus proche de nous. Mais justement grâce à cela, elle répond aux demandes brûlantes de la destinée jetée dans le creuset des cataclysmes historiques. Elle comble le fossé entre la compréhension de l'harmonie universelle et les dissonances de l'existence historique et personnelle.
          Comme vous le savez, seulement quelques peuples se sont enrichis d'une telle révélation et seulement en peu d’époques : l'apocalyptique est apparu parmi les Juifs, apparemment vers le 6-ème siècle avant JC, elle s’est répandu dans le christianisme primitif et a duré le plus longtemps dans le judaïsme médiéval, se nourrissant de l'atmosphère ardente de son messianisme.
          Quant au christianisme, en particulier dans celui de l'Est, la forme apocalyptique de la cognition y était presque complètement perdue au début du Moyen Âge, ayant soudainement fulguré d’une flamme tamisée, agitée et fumante au premier siècle du grand
schisme russe
.

Le prêtre vieux-croyant Nikita Poustosviat débattant avec le patriarche Joachim sur la question de la Foi en présence de la régente Sophie. Tableau de Vassili PEROV (1880), Galerie Tretiakov, Moscou.
 
          Il est inapproprié ici d’entrer dans l’analyse des causes nombreuses et complexes de ce détriment, mais il est impossible de ne pas souligner son lien avec l’antihistoricisme de la conscience religieuse et du monde de sentiments religieux qui attire notre attention déjà chez les pères de l’église byzantine et la surprend carrément chez les représentants de l’orthodoxie russe, même chez les plus grands, dont la sainteté et l’expérience spirituelle suprême n’évoque aucun doute. L'antihistoricisme devient comme un canon obligatoire de la pensée religieuse. Il est instructif de rappeler les conflits non résolus entre l'antihistoricisme officiel de la vision du monde de l’église russe et le penchant irrationnel congénital pour la forme apocalyptique de cognition et pour la métahistoire dans les biographies spirituelles et créatives d'écrivains et de penseurs laïcs orthodoxes : Gogol, Khomyakov, Léontiev, Dostoïevski, Vladimir Soloviev, Sergei Boulgakov.
          La consolation est que toucher à la métahistoire peut s’effectuer de manière complètement différente de celle qui est exposée ici. Ceci est démontré par l'élément de l'expérience métahistorique, qui peut souvent se trouver sous une énorme épaisseur d'antihistoricisme – qu’il soit apparent ou authentique. Ce sentiment est merveilleusement exprimé par Tutchev – lorsque la personne se sent participer à un certain mystère historique, à un processus créatif et à la lutte des grandes forces spirituelles – ou plutôt transphysiques – explicitement manifestées aux moments fatals de l'histoire, – Jeanne d'Arc serait-elle capable d’accomplir son exploit sans avoir ce sentiment ? Comment pourrait
St. Serge de Radonège, qui était, pour le reste de sa quiétude, un véritable anachorète et un ascète, jouer un rôle aussi décisif, voire même guidant, dans les tempêtes politiques de son époque ? Sans ce sentiment, comment les plus signifiants des papes, siècle après siècle, pourraient-ils mettre en œuvre l’idée de la hiérocratie mondiale, et de Loyola – créer une organisation qui s’efforce consciemment de maîtriser le mécanisme de la formation historique de l’humanité ? Hegel, pourrait-il, sans ce sentiment, créer La philosophie de l'histoire avec le seul travail de l’esprit, et Goethe – la deuxième partie de Faust ? Aurait-il été possible l'auto-immolation des schismatiques, si le vent glacial d'une horreur métaphysique et eschatologique n'avait pas refroidi chez eux tout attachement à ce monde, qui était déjà tombé, à ce qu'il leur semblait, sous le pouvoir de l'antéchrist ? Un vague sentiment métahistorique, non éclairé par la contemplation et la réflexion, conduit souvent aux concepts déformés, aux actes chaotiques. Ne ressentons-nous pas une sorte de pathos métahistorique dans les tirades ampoulées des dirigeants de la Révolution française, dans les doctrines du socialisme utopique, dans le culte de l'Humanité d’Auguste Comte ou dans les appels au renouveau global par la destruction de toutes bases ? Ces appels prennent, dans la bouche de
Bakounine, cette ombre qui fait penser aux exhortations passionnées des prophètes juifs, bien que l’orateur du XIXe siècle y met un nouveau sens, même opposé à la perception du monde des prophètes anciens. Nous pourrions poser encore des centaines de questions similaires. Les réponses infaillibles à ces questions aboutiront à deux conclusions importantes. Premièrement, il sera évident que le volume total des cultures occidentale et russe contient une couche sous-jacente d'expériences apocalyptiques cachées dans un nombre incalculable de phénomènes, qui sembleront même étrangers à cette couche au premier abord. Et deuxièmement – c’est que ce sentiment métahistorique, l’expérience métahistorique, inconsciente, vague, confuse et contradictoire, de temps à autre, alimente un processus créatif : artistique, religieux, social et même politique. 
          En parlant de la méthode métahistorique de cognition, je me suis progressivement tourné vers la méthode transphysique : les voyages et les rencontres dont j’ai parlé appartiennent déjà aux domaines de la cognition transphysique. Après tout, j'ai déjà dit qu'on ne peut pas toujours classer proprement ces phénomènes ; cela n’aurait pas du tout été nécessaire si nous n’avions pas voulu clarifier une série de problèmes complexes et inexplorés.
          Il se peut que certains lecteurs exprimeront leur surprise : pourquoi, au lieu du mot « spirituel », généralement employé, j'utilise si souvent le terme « transphysique » ? – Parce qu’utiliser le mot « spirituel », au sens propre, n’est approprié que concernant Dieu et les monades. Quant au terme « transphysique », il s'applique à tout ce qui a une matérialité différente de la nôtre, à tous les mondes qui existent dans des espaces avec un autre nombre de coordonnées et dans d'autres courants temporels. Sous « la transphysique » (au sens de l'objet de cognition), je comprends l’ensemble de ces mondes, quels que soient les processus qui s'y déroulent. Si de tels processus sont liés au développement de Chadanakar, ils forment la métahistoire ; s’ils sont liés au développement de l'Univers – ils forment la méta-évolution ; la cognition de la méta-évolution est la cognition œcuménique. Et si prendre le mot « transphysique » au sens de l’enseignement religieux, il désigne la doctrine de la structure de Chadanakar. Les objets de la cognition métahistorique sont liés à l'histoire et à la culture, ceux de la cognition transphysique – avec la nature de notre couche et d'autres couches de Chadanakar, et ceux de la cognition œcuménique – avec l'Univers. Ainsi, les phénomènes que j’ai appelés les voyages et les rencontres transphysiques, selon leur contenu, peuvent appartenir soit au type de la cognition métahistorique, soit à la cognition transphysique, ou bien œcuménique.
          Après cette petite remarque, rien ne nous empêche de passer à l’examen des deux types restants de la cognition religieuse, mais, bien sûr, uniquement sous les formes que j’ai connues personnellement.

 



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