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          Non, nous n’avons pas le droit – absolument aucun droit – d’acheter nos plaisirs au prix de la souffrance et de la mort des êtres vivants. Si vous ne connaissez pas d’autre moyen de vous sentir inclu dans la nature, il est préférable que vous ne touchiez à rien. Il vaut mieux rester complètement « hors la nature » que d’être un monstre parmi elle. Car lorsque vous entrez dans la nature avec un fusil et que vous semez la mort autour de vous pour votre propre amusement, vous devenez un lamentable terrain de jeu de celui qui a inventé la mort, inventé la loi de la dévoration mutuelle, et qui engraisse et se gonfle des souffrances des êtres vivants.
          Et en plus, on rajoutera : « Dis-donc ! Ce sont les gens qui meurent par des millions de nos jours – de conflits militaires, de faim et des répressions politiques à la fois – et lui, il a trouvé, me diront-ils, le moment de pleurer sur les écureuils et les tétras ! – Hélas, dirai-je, oui. Déjà, expliquez-moi ce que les guerres mondiales, les répressions et autres outrages humains ont à voir avec la question des animaux ? Pourquoi les animaux devraient-ils mourir pour le plaisir de bon-a-riens sans cœur, alors que l’humanité est en train de régler enfin ses affaires sociales et passe son temps libre à adoucir les mœurs ? Quel est le raport entre les deux ? Est-ce juste que tant que l'humanité se torture dans les guerres et les tyrannies, la conscience collective sera trop abasourdie, déprimée et rétrécie pour ressentir toute l'ignominie de la chasse et de la pêche.
          Et oui, de la pêche aussi. Cette même pêche à laquelle nous aimons tant nous adonner sur fond poétique des aurores et couchers de soleil d'été, touchant et reposant notre âme au milieu de l'idylle environnante, et saisissant avec nos doigts un ver frétillant, lui perçant le corps avec un hameçon et, dans une inconscience enfantine, ne pas réalisant qu'il vit maintenant la même chose, que ressentirions-nous si un monstre de la taille d'une montagne nous attrapait par la jambe, nous transperçait le ventre avec une pique de fer et nous jetait à la mer, vers un requin s'approchant.
          "D'accord, me diront-ils, mais on peut utiliser ici du pain, une cuillère, etc." - Oui, bien sûr. Et pour le poisson capturé, ce sera un grand soulagement de savoir qu'il périt trompé non pas par un ver, mais par une babiole éclatante.
          Il existe également des énergumènes du passé lointain qui continuent à croire sérieusement qu'un poisson ou un cancer ne peuvent pas souffrir parce qu'ils ont le sang froid. En effet, à l’époque, l’humanité, n’ayant aucune idée de la physiologie des animaux, imaginait que la sensibilité était fonction de la température du sang. D’ailleurs, à cause de cette croyance fausse, le poisson était inclus, par les religions sémitiques, dans la liste des plats de Carême et même les saints ne dédaignaient pas de s'en régaler. Je ne les juge surtout pas : l'expérience religieuse de l'âme, aussi grande et élevée soit-elle, ne couvre pas l'expérience de la science (et vice versa) ; la science en était alors à un stade précoce et personne, pas même les saints, n’est responsable de l’idée que les animaux à sang froid ne ressentent pas la douleur. Mais nous savons maintenant que c’est faux. Puisqu’on comprend maintenant qu'un poisson gigote sur un hameçon ou se tortille sur le sable de la douleur et pas du plaisir ! Eh bien, alors ? Les vêtements blancs de contemplation poétique que nous enfilons pendant les heures bucoliques passées à rester assis avec une canne à pêche, ne sont-ils pas éclaboussés de sang, de mucus et d'entrailles d'êtres vivants, de ceux qui gambadaient dans l'eau claire et pouvaient continuer à vivre, s’il n’y avait pas notre, si l’on peut dire, amour de la nature ?
          Il existe aussi des arguments de ce genre : dans le monde animal tout est basé sur la dévoration mutuelle, pourquoi l'homme devrait-il faire exception ? – Le fait que tout chez les animaux soit basé sur une dévoration mutuelle est un mensonge. Y a-t-il peu d’animaux qui se nourrissent des aliments végétaux ? Les forces providentielles n’ont-elles pas arraché des centaines d’espèces d’animaux aux griffes de Gagtoungre, au moins à cet égard ? N'existe-t-il pas dans la nature de nombreuses créatures totalement inoffensives et physiquement inadaptées à la consommation de viande ? Mais surtout, comment oserait même s’agiter sous le crâne humain l’idée que la morale des animaux puisse nous servir de modèle de comportement ? Et si nos chasseurs admirent la « masculinité » dans le comportement des prédateurs (d'ailleurs, ce n'est pas tant de la « masculinité » que simplement la confiance en sa force physique et l'impunité), alors pourquoi ne pas imiter ce prédateur, par exemple un loup, d'une autre manière – disons, en déchirant un membre blessé ou affaibli de sa propre meute ? Et puis, pourquoi se limiter aux mammifères prédateurs ? Prenez comme modèle des coutumes encore plus marquantes – par exemple, celles des araignées : où le mâle est dévoré par la femelle aussitôt après la fécondation. Si chez les araignées la femelle était dévorée par le mâle après l'accouchement, il y aurait probablement parmi nous des adeptes d'une ligne d'action aussi « masculine ».
          Ceci dit, malgré toute sa laideur, le sport de chasse n'apporte pas aujourd'hui autant de mal que son autre source, qui, hélas, n'a été découverte que récemment avec le développement de la science et des Lumières.  
          Je prends, donc, Le guide pratique pour les professeurs de l’école secondaire, rédigé par un certain J. A. Tsingher et publié en 1947 sous le titre Les protozoaires. Je l'ouvre à la page 60 et je lis les instructions comment en cours de SVT, il faut mener une expérience pour extraire les parasites grégarines des intestins d'un ver de farine : « On ouvre le ver par la face dorsale et on choisit une section de l'intestin. Vous pouvez simplement couper la tête et la partie arrière du ver, puis retirer les intestins par derrière avec une pince à épiler... Le contenu des intestins est pressé sur une lame et, humidifié avec de l'eau, est examiné à faible grossissement. »
          Quoi, les élèves ne vomissent pas ? Déjà habitués ? Ont-ils déjà appris, grâce à leur professeur, à réprimer en eux l'horreur et le dégoût ? Connaissent-ils déjà l’expression « la petite nature » lorsqu’il s’agit de la pitié naturelle ? Peut-être même qu'un garçon dont les mains tremblent du dégoût, de la douleur ou de la honte sera appelée une « chochotte ».
          Je tourne deux pages : « On endort la grenouille avec de l'éther... Ou encore plus simple : tenant la grenouille par les pattes postérieures, le ventre vers le haut, on la frappe violemment et rapidement la tête contre le rebord de la table. Ensuite, la grenouille se fait ouvrir par la face ventrale… »
          Peut-être en effet, les enfants obtiennent-ils ainsi une représentation visuelle des parasites présents dans les intestins d'une grenouille : sans elle, leur vie sera impossible ! D’autant plus que l'enseignant, amateur d'actions « plus simples », démontre en toute splendeur la bassesse humaine.
          Et je n'ai même pas encore abordé la question fondamentale sur le choix des sciences naturelles de se passer d'expérimentations sur le « matériel vivant ». Mais même si ces expériences étaient une triste nécessité, faut-il vraiment les enseigner aux enfants d’âge scolaire ? Parmi eux, seulement 20 % peut-être choisiront une spécialité en sciences naturelles ou en médecine. A quoi bon supprimer le sentiment naturel de compassion, mutiler les fondements mêmes de la conscience chez les 80 % restants ? Au nom de quel « bien imaginaire de l’humanité » devrions-nous détruire des dizaines, voire des centaines de milliers d’animaux expérimentaux ? Enfin, pourquoi et de quel droit transforme-t-on les cours de SVT à l'école en cours de meurtre et de torture des bêtes sans voix ? Comme s'il était impossible de remplacer cette foutue cuisine par des transparents, des maquettes, des mannequins ! Cette cuisine meurtrière, ne pourrait-elle pas se faire remplacer par des diapositives, des maquettes ou des mannequins ? Parce que sinon, pourquoi alors un professeur d'histoire, parlant de l'Inquisition, ne devrait-il pas organiser un spectacle instructif – afin d'expliquer clairement aux enfants comment fonctionnaient les bottes espagnoles, le garrot, le chevalet et d'autres avancées scientifiques et technologiques de cette époque ?
          Et encore quelques mots sur le « matériel vivant » en général. D’ailleurs, les naturalistes sont tellement habitués à leur terminologie qu’ils ne remarquent plus, bien sûr, quelle misère morale, quelle raideur de conscience on entend dans cette expression anormale et stupidement utilitaire : « matériel vivant ». Donc : ce qui a été fait ne peut être défait, ce qui a été tué ne peut pas être ressuscité, et se demander si la science des époques précédentes aurait pu avancer sans cela est une question vaine. Mais peut-elle le faire aujourd’hui ? L'instinct d'économie d'effort est à l'origine du fait que tous les naturalistes avaient tourné leur attention vers cette méthode, qui mène plus directement et à moindre coût au but. Légalisée, elle apparaît désormais à beaucoup comme la seule et irremplaçable. Voilà qui est absurde! Quelle corvée de devoir investir son énergie et son temps à développer une autre méthodologie avec, en plus, la cupidité de l'État et du public. Bien entendu, les recherches d’une nouvelle méthode en agissant seul est une affaire improbable. Des milliers de jeunes médecins, enseignants et scientifiques, qui entreprennent leur parcours professionnel, éprouvent une aversion naturelle pour les techniques scientifiques associées à la torture et au meurtre d'êtres vivants. Mais la situation est telle que chacun de ces employés est confronté à un dilemme : soit étouffer en soi la compassion avec des raisonnements sur le bien de l'humanité, soit abandonner complètement la voie des naturalistes, car il n'y a pas d'autre méthode. Il est clair que l’immense majorité choisit le premier et se laisse peu à peu entraîner dans la pratique de ces techniques inhumaines. La recherche d'une nouvelle méthode n'est réellement possible que grâce aux efforts à long terme d'une grande équipe qui se serait engagée pour atteindre cet objectif. Et une telle entreprise ne peut être réalisée que si elle est financée par une autorité économiquement forte, publique ou étatique.

          Mais les victimes de notre « amour de la nature » et les celles de notre « soif de savoir » ne sont que des monticules à côté des Monts Blancs et des Everests de cadavres de poissons pêchés, et les cadavres de vaches et de cochons entassés dans les abattoirs – ce sont les cadavres qu'on achète dans les magasins et qu'on dévore à une table joliment dressée. Et pire encore : l'utilitarisme du progrès technologique a finalement atteint des sommets où il est devenu clair qu'il est plus économique de fabriquer des crabes en conserve sans tuer les crabes, mais en arrachant leur coquille à vif, en coupant des griffes pour ensuite jeter les restes encore vivants à la mer : au cas où quelqu’un d’autre voudrait en profiter. Ce ne serait pas mal que l'inventeur d'une telle machine à crabes puisse prendre quelques années de repos en cellule d'isolement : afin de bien réfléchir à la question s'il est toujours un humain. Et il serait encore plus gratifiant si, de l'autre côté du mur, dans la cellule voisine, puisse reposer ce sage chef d'entreprise, dont la diligence a introduit dans notre industrie ces tortures contre les crabes et les écrevisses.
          Mais bon, admettons que les infamies de ce genre sont extrêmes et seront bientôt éliminés. Mais qu’en est-il de la viande et du poisson en tant que produits alimentaires de masse ? Qu’en est-il de la production de cuir ? De l'habillage en fourrure ? Tout cela, est-ce une nécessité absolue ?
          En effet, l’élément de nécessité est encore présent ici, mais, à vrai dire, il est déjà bien moindre qu’on ne le pense. On peut dire que le progrès scientifique et social approche, Dieu merci, d'un tel stade où tout ce qui restera de cette nécessité ne sera plus qu'un souvenir douloureux.
          En effet : la chimie appliquée améliore chaque année les substituts du cuir ; les fourrures artificielles deviennent moins chères et plus accessibles que les fourrures naturelles, et si elles sont toujours de qualité inférieure, cette lacune sera comblée avec le temps. Les conditions nécessaires pour interdire l'utilisation de tissus animaux dans l'industrie sont ainsi créées. La question la plus difficile, vraiment difficile, est le problème de la nourriture à base de poisson et de viande, que beaucoup considèrent toujours nécessaire à notre corps.
          Mais au fait, pourquoi est-ce nécessaire ? Ce qu’il faut, ce n’est pas de la viande et du poisson en tant que tels, mais une certaine quantité de glucides et de protéines. Ainsi qu’une certaine quantité de calories. Ces quantités peuvent être introduites dans notre organisme par d’autres types d’aliments : produits laitiers, farines, plats de fruits et légumes. Il n’est pas sérieux de prétendre que nous ne savons pas qu’il existe des millions de végétariens dans le monde et qu’ils sont en bonne santé. Aussi, nous savons tous très bien que depuis des milliers d'années, il existe un peuple sur Terre qui ne mange quasiment pas de viande – c’est un fait sûrement désagréable pour notre conscience, mais indéniable. Certes, dans un climat nordique, il faudra davantage d'autres nutriments pour compenser les plats de viande et de poisson que dans l'Inde tropicale. Il est également vrai que cette compensation est encore plus coûteuse et n’est donc pas accessible à tous. Le problème est donc d’augmenter le niveau de vie et le pouvoir d’achat. Mais c’est devenu évident que le bien-être de l’humanité ne fait qu’augmenter progressivement. Et le moment où cette compensation sera rendue publique n’est pas loin.
          Par conséquent, il émerge un certain programme, une chaîne de mesures successives, qui, après l'arrivée au pouvoir de la Rose du Monde, deviendront vraiment réalisables.

          Le premier groupe, ce sont les mesures à réaliser sans délai :
          1. Interdiction des méthodes de mise à mort douloureuse des animaux – dans l'industrie et ailleurs.
          2. Interdiction des expériences sur le « matériel vivant » dans les écoles et partout ailleurs, à l'exception des institutions scientifiques spécialisées.
          3. Interdiction totale des expériences sur les animaux sans les euthanasier ou les anesthésier.
          4. Création et financement d'équipes scientifiques puissantes pour rechercher et développer de nouvelles techniques expérimentales en sciences naturelles.
          5. Limite de la pêche comme un loisir et de la chasse en tant que sport visant la lutte contre les prédateurs.
          6. Restructuration du système éducatif qui contribuerait au développement chez les enfants d'âge préscolaire et scolaire de l'amour pour les animaux, un amour désintéressé, animé par le besoin naturel d'aimer et d’aidez tout ce qui est faible et retardé et non pas animé par l'utilité d’une espèce.
          7. Propagande généralisée d'une nouvelle attitude envers les animaux.

          Mais l’essence de cette attitude n’est pas seulement de protéger les animaux de la torture et du meurtre par les humains. Ce n’est que son aspect négatif, et il n’y a là rien de nouveau. Son aspect positif et véritablement nouveau est d'assister activement le règne animal dans son développement et de raccourcir les chemins et des délais de ce développement. De quoi s’agit-il ?
          Il s’agit d’établir la « paix » entre l’homme et tous les animaux, sauf les prédateurs ; de trouver des moyens de rééduquer certaines espèces prédatrices ; de ne plus utiliser des animaux pour les besoins de sécurité ; d’accélérer de façon artificielle le développement mental et spirituel de certaines espèces supérieures du règne animal.
          Il faudra beaucoup de moyens pour développer la psychologie animale. Ce n’est pas grave ! Aucune somme d’argent, même mille fois supérieure, ne pourra compenser le mal que nous avons apporté au règne animal pendant des milliers d’années. Un nouveau département de connaissances verra le jour : la zoogogie, c'est-à-dire la pédagogie animale. Grâce à une étude minutieuse, certaines espèces de prédateurs pourront être rééduquées comme les chiens et les chats. Après tout, je vous ai déjà rappelé que sous nos yeux, l'ex-loup est devenu capable d'assimiler la nourriture végétale, et ce malgré le fait que l'homme ne cherchait pas à supprimer en lui son instinct sanguinaire, mais, au contraire, il voulait plutôt le développer dans l'intérêt de service de chasse et de garde. Sinon, quelle gaieté d’esprit, douceur et gentillesse nous observerions maintenant chez le chien, en plus de son dévouement, de son courage et de son intelligence ! Et quel doute peut-il y avoir qu'un tel travail – sur de nombreuses espèces prédatrices, le travail de personnes armées de connaissances en psychologie et en physiologie des animaux, de pédagogie et, surtout, du pouvoir de l'amour – serait capable de rééduquer, physiquement et les améliorer mentalement, les adoucir, les transformer ?
          Déjà, le chien est capable de mémoriser jusqu'à deux cents mots. Et, attention, non pas mécaniquement, comme un perroquet, mais pleinement conscient de leur signification. Cette créature a vraiment un énorme potentiel. Son développement a atteint le point où l’espèce fait un bond rapide en avant. A nous de veiller à ce que ce changement fondamental se produise sous nos yeux, afin que l’incapacité de certains organes du chien ne le ralentisse pas pendant des siècles. L'apparition de la parole chez un chien n'est pas inhibée par son niveau intellectuel général, mais par un obstacle purement mécanique : à cause de la structure défavorable des organes nécessaires à la parole. Son développement global est entravé par un autre obstacle : l'inadaptabilité de ses membres (pattes) aux fonctions qu'assurent nos mains. Une autre branche de la physiologie animale se développera : la science des moyens d'influence biochimique sur l'embryon dans le sens de changements structurels nécessaires au développement accéléré de l'organe de la parole et à la transformation des pattes avant en mains. La maîtrise de la parole, même à hauteur de plusieurs dizaines de mots, a un effet inverse sur le taux de développement mental général, et dans un siècle, les gens auront un ami extraordinaire qui, grâce à leur travail, aurait raccourci le chemin qui lui était destiné à une distance de plusieurs générations au lieu de centaines de milliers d'années.



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